• "Quelque chose en nous d'un peu nazi"

    "L'homme est-il bon ? Est-il méchant ?

    Cette controverse hante les philosophes et les moralistes. Elle oppose, depuis plus de deux siècles, les partisans de Hobbes ("l'homme est un loup pour l'homme") à ceux de Rousseau ("l'homme est bon, la société le corrompt").

    De fait, aucun être humain ne vit hors d'une société. L'Homo sapiens est pétri par ses mythes, sa religion, ses parents, son village, sa culture; y compris, depuis un siècle, par la radio, la télévision ou Internet.

    Aucune bête sauvage n'aurait jamais assassiné ses congénères comme nous nous y sommes employés à Oradour-sur-Glane ou à Srebrenica. Aucun animal n'aurait pu concevoir et exécuter cet ordre que je tiens pour le plus barbare qui ait été proféré depuis le commencement de l'univers, voici près de quatorze milliards d'années : "Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens !"

    Bien plus que le tigre de Racine, nous sommes "altérés de sang". Meutriers, tortionnaires et fiers de l'être... Nous aimons nos reîtres, nos spadassins, nos soudards, nos uhlans, nos mercenaires? Nous louons la soldatesque qui pille et viole. Nous décorons nos "héros". Nous élevons des statues à ceux qui ont le mieux éventré ou incendié, nous leur composons des hymnes...

    L'homme est méchant parce que c'est un animal pensant.

    Je pense, donc j'asservis.

    Je pense, donc j'exploite et j'humilie. Je pense, donc je vole et je tue....

    Ce que je dois dire à présent me sort avec peine des neurones. Je rougis, je pâlis, mes yeux papillotent ma bouche se déssèche, mes doigts tremblent sur le clavier de mon ordinateur. Il y a longtemps que je le pense mais je n'osait l'écrire...

    Mon propos consternera ceux qui veulent croire en l'humanité de l'homme, au progrès de notre espèce ou à son salut.

    L'espèce humaine est affreuse, bête et méchante. Nous avons tous en nous quelque chose d'un peu nazi.

    Je ne parle pas d'une petite salissure, d'une tache résiduelle, d'une macule en voie de dissolution ou d'un défaut mineur que nous pourrions tenir sous contrôle. Non... J'examine la partie constitutive de notre personne. Je peins la région de nous-mêmes qui nous guide lorsque nous subissons un stress ; lorsque nous avons peur ou que nos intérêts vitaux sont en jeu.

    Parce qu'il se veulent humanistes ou qu'ils croient au paradis, certains d'entre nous endossent le costume de saint Michel et tentent de combattre ce Lucifer de nos tréfonds. Courage ! Je crains que la victoire n'advienne ni à Pâques, ni à la Trinité, ni à l'aïd el-Kébir, ni au Têt, ni à l'occasion d'aucune fête de quelque religion que ce soit.

    Que cela plaise ou non, et quelles que soient les indignations du philosophe ou du moraliste, la vérité s'impose : nazis nous sommes.

    Certains Homo sapiens le sont en totalité : ils saluent le bras levé et marchent au pas de l'oie. Ils contribuent à "la solution finale" à Auschwitz ; à la rééducation par le travail au goulag ; à la chasse aux ennemis du peuple pendant la révolution culturelle en Chine ; au génocide des Arméniens en Turquie ; ou à la mise en pièces de l'ennemi ethnique en Bosnie ou au Rwanda...

    La majorité des individus de notre espèce incarnent des nazis de petite envergure. Ils barbotent dans le marigot de l'ignominie ordinaire. Ils jouent la vilenie au rabais. Ils saisissent l'occasion de mal faire sur le mode poussif, sans gloire ni système, mais sans hésiter non plus lorsqu'ils sont sûrs de l'impunité. A la fois lâches et cruels, ils perpètrent leurs bassesses en douce. Ils trafiquent au marché noir. Ils dénoncent les Juifs à la Gestapo ou les contre-révolutionnaires à la Tcheka. Puis ils rentrent gentiment chez eux infliger des tortures morales ou physiques à leur conjoint, à leurs enfants ou à leur chien.

    Des rares individus, qu'on appelle "bienfaiteurs de l'humanité" ou "Saints", sont un peu moins pires que les autres. Ils protègent la veuve et l'orphelin. Ils font monter les femmes et les enfants dans les canots de sauvetage. Ils se jettent avec bravoure dans le brasier, tels les "liquidateurs" de Tchernobyl ou les pompiers new-yorkais du 11 septembre... Bien entendu, l'ermite au désert ne croise pas grand monde et reçoit peu de louanges ; mais il se regorge à l'idée de s'asseoir un jour à la droite de Dieu.

    Je cherche l'humanité au fond de l'homme : je n'y vois que la moustache d'Hitler.

    Désolé d'être aussi brutal et désespéré...

    Le Führer n'est pas un monstre, un psychopathe ou une "bête immonde", ainsi que nous essayons de nous en persuader pour ne pas avoir à regarder en nous-mêmes. C'est un Homo sapiens ordinaire, avec un encéphale de mille trois cents centimètres cubes et cent milliards de neurones (avant Alzheimer). Le petit barbouilleur autrichien prend le pouvoir de façon démocratique, puis cède aux pulsions habituelles de notre espèce. Bilan : quarante millions de morts... J'observe que nous obtenons un résultat voisin avec le sida : quarante millions de séropositifs et trois millions de décès par an ... Nos fantasmes et notre mépris d'autrui lors de nos relations sexuelles sont-ils moins coupables que les délires nazis ? Le bon époux qui fait un extra sans capote, l'homosexuel adepte du "cul nu", le marchant de sang qui contamine des centaines de milliers de Chinois en réutilisant les mêmes seringues sont-ils plus moraux que les soldats du Troisième Reich ? En tant que victime potentielle, je préfère qu'on m'inocule uine rafale de mitraillette plutôt qu'un contingent de VIH : ça va plus vite et ça fait moins mal...

    Humain, trop humain !

    Cela vaut pour le trafiquant d'esclaves (même Voltaire avait des intérêts dans la traite des Nègres). Pour le général d'armée qui lance la chair à canon à l'assaut de la tranchée ennemie. Pour le proxénète qui commercialise le sexe d'autrui. Pour le violeur d'enfant qui saccage l'innocence. Pour le flic qui matraque le "basané". Pour le juge qui met à l'ombre plus vite que son ombre. Pour le petit chef qui harcèle ses inférieurs. Pour le rond-de-cuir qui ricane derrière son guichet... Je n'oublie ni le vainqueur du "Maillon faible" à la télé, ni le vieillard grabataire qui perd ses dernières forces à insulter son infirmière.

    Cent pour cent des Homo sapiens sont méchants.

    Nous sommes des "salauds" au sens sartrien du terme : nous accomplissons nos mauvaises actions en toute liberté ; en ayant conscience du mal que nous faisons.

    Je dirais même plus : nous aimons nos perfidies. Nous les justifions. Nous leur trouvons toutes les excuses possibles et impossibles. Nous les rebaptisons "légitime défense", "acte de bravoure" ou "choix tactique". Les Anglais ont inventé le mot fair play, qui amuse beaucoup tous ceux qui ont affronté les Anglais à la guerre ou au rugby. Les capitalistes parlent de "concurrence loyale", ce qui fait rire tous ceux qui étudient les relations entre les entreprises ; chacune d'elles n'a qu'une obsession : le monopole. Nous sommes doués pour emballer nos vilenies dans des paquets cadeaux. Sur le fond, notre simplicité est désarmante. Notre pensée unique, le socle de notre réflexion et de notre action , s"énonce ainsi : j'ai raison et tous les autres  ont tort...

    L'Homo sapiens, comme tout être vivant, obéit à trois pulsions principales : le sexe, le territoire et la hiérarchie.

    La reproduction, la possession et la domination.

    Nous sommes leurs esclaces. Nous adorons qu'elles nous fouettent et nous fassent ramper. Avant de décrire l'apocalypse à laquelle elles nous mènent, il me faut esquisser leur chemin organique.

    Nous aliénons notre liberté à ces tendances parce qu'elles nous font plaisir. Le secret de notre vie (donc de notre mort) gît dans cette biologie des passions. Certains pensent que le plaisir est subjectif, avec son cortège de fantasmes? Nous le renforçons d'images excitantes. Mais il est d'abord matériel. Il requiert des neurones et des neurotransmetteurs...

    Nous possédons, dans notre encéphale (mille trois cents centimètres cubes de problèmes et peu de solutions), des aires du plaisir et de la récompense. La scène se passe dans notre cerveau primitif (ou limbique, ou reptilien), où se trouvent les supports de notre mémoire et de nos émotions, ainsi qu'un petit organe d'apparence négligeable : le noyau accumbens.

    C'est dans cet amas de neurones que s'élaborent nos plaisirs.

    Le noyau accumbens est farci de récepteurs de la dopamine. Cette substance est un neurotransmetteur, comme la sérotonine, l'acéthylcholine, la noradrénaline ou le glutamate. On pourrait écrire que c'est la "molécule du bonheur"... Lorsque les récepteurs dopaminergiques de notre noyau accumbens sont excités, nous aimons. Nous adorons. Nous dégustons. Nous savourons. Nous sommes gratifiés parce que l'existence nous propose le plus positif : un instant d'extase...

    Heu-reux ! Nous sommes heu-reux...

    Notre peau s"échauffe, nos yeux papillotent, nous voyons des étoiles, notre respiration s'accélère, notre coeur bat plus fort, nos orteils sont en éventail, nous bavons, nous poussons de petits cris ridicules. Alléliua s'il s'ensuit un orgasme ! Nous avons l'air idiot, mais nous voulons prolonger ce moment. Ou le revivre. Bis repetita placent, et même beaucoup !

    Lorsque nous ressentons un plaisir, nous en identifions la cause : un plat goûteux, un bon vin, le parfum d'une fleur, le visage d'un ami, le spectacle d'un sexe, etc. Nous en mémorisons la source. nous cherchons à y revenir. Et nous nous retrouvons dépendants. En addiction. Obligés de renouveler la dose. Accros. Junkies...

    Les drogues (licites ou illicites) comme le tabac, l'alcool, le cannabis, la morphine, l'héroïne ou la cocaïne, cout-circuitent nos circuits du plaisir et de la récompense. Elles agissent, de façon directe ou indirecte, en stimulant nos récepteurs de la dopamine. Nous en devenons esclaves en moins de temps qu'il ne faut pour l'écrire. Tout s'écroule avec l'état de manque qui s'ensuit, et les souffrances physiques et morales qu'il inflige...

    Mais rien n'échappe à la dictature de notre cerveau limbique...

    Parmi les stupéfiants majeurs, les plus faciles à trouver sont le sexe, le territoire et la domination. Ce ne sont ni les moins chers, ni les moins dangereux, mais leur commerce est licite.

    Le degré de tolérance au sexe varie avec l'intensité de la coercition religieuse...

    Du côté du territoire et de la hiérarchie, tout est permis et même encouragé. La possession et la domination sont élevées au rang de valeurs."

    Yves Paccalet, L'humanité disparaîtra, bon débarras ! Edition Arthaud


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